« Dans la roue de Vélocio » – Un hommage au maître du cyclotourisme

Le documentaire Dans la roue de Vélocio, réalisé par Claude Marthaler, plonge les spectateurs dans un vibrant hommage à Paul de Vivie, alias Vélocio, l’un des pionniers et maîtres du cyclotourisme moderne.

Ce court-métrage de 24 minutes, soutenu par la Fédération française de cyclotourisme, explore la vie et l’héritage de Vélocio, dont l’influence dans le monde du cyclisme est immense.

Claude Marthaler : un cyclonaute au long cours


Né en 1960 à Genève, Claude Marthaler, également connu sous le nom du « Yak », est un aventurier du vélo qui a consacré sa vie à parcourir la planète sur deux roues.
Passionné dès l’enfance, il a réalisé un tour du monde à vélo qui a duré sept ans, s’ajoutant à de nombreuses autres expéditions qui lui ont fait découvrir les quatre coins du globe.
 
Devenu aujourd’hui conférencier et écrivain, Claude Marthaler partage sa passion à travers des récits et des films, où le voyage devient une métaphore de la vie elle-même.
 

Claude Marthaler, place Tiananmen-Pékin 1999.

 

Genèse du documentaire


Le documentaire trouve son origine dans une idée lancée à l’occasion du 171e anniversaire de la naissance de Vélocio, le 1er mai.

Selon Claude Marthaler, le but était de créer un court-métrage à la manière d’un road-movie, retraçant un pèlerinage vers les lieux emblématiques de Paul de Vivie. Ce dernier est considéré comme le pionnier du voyage à vélo, ayant contribué à populariser et à développer la pratique du cyclotourisme à travers ses récits, ses innovations et sa philosophie.

Le film se veut un hommage à ce personnage incontournable de l’histoire du vélo, et permet à Claude Marthaler de revisiter les lieux où Vélocio a marqué l’histoire.

Ce documentaire sera présenté en avant-première lors du Festivélo de Lausanne début novembre. Il promet de toucher le cœur des passionnés de vélo et des amateurs d’aventure, tout en célébrant l’esprit du voyage et du dépassement de soi, si cher à Vélocio et à la Fédération française de cyclotourisme.
 

À la rencontre de Claude Marthaler


Pour en savoir plus sur ce projet et sur l’homme derrière la caméra, nous sommes allés à la rencontre de Claude Marthaler.

Quel est votre rapport au vélo ?


Comme tous les enfants : simplement, en explorant le pourtour de mon pâté de maisons, mon quartier, puis peu à peu Genève. C’est l’un des moments-clés et magiques de l’existence qui fait appel à l’apprentissage par le corps : la première fois qu’on tient debout et que l’on peut marcher, que l’on tient en équilibre sur un vélo, la première fois qu’on sait nager ou skier. Se laisser… aller vers l’inconnu, vers quelque chose de bien plus vaste qui nous dépasse.

Soudainement le monde s’agrandit, il s’agrandit même en roulant, indéfiniment semble-t-il, et l’on peut tout de suite s’échapper. Je partais ainsi de chez moi, sans claire distinction entre corps et âme, et aussitôt la liberté, à l’échelle du petit bonhomme que je fus. Le vélo est cet objet à l’efficience énergétique inégalée qui permet à un enfant de grandir, de devenir adulte et à un adulte de rester un peu enfant, de rêver.

Je me suis souvent demandé ce que serait devenue ma vie sans l’invention de la bicyclette, un véhicule à moteur, abouti, auquel on ne peut rien ajouter ni supprimer, sous peine de le trahir.

J’entretiens un rapport sacré, talismanique, instinctif, jouissif et quotidien au vélo qui est mon véritable porte-bonheur. Il est un monde que je chevauche, que je lis ou écrit, un objet que je mêle à n’importe quelle conversation, un nom que j’énonce plusieurs fois par jour comme un mantra. C’est en selle, que sont nées mes meilleures idées. Tout comme Vélocio, « vélhomme » je suis devenu.

Claude Marthaler dans la cuisine d’une école en Inde. Photo de Nathalie Pellegrinelli.

Êtes-vous licencié dans un club ?


Non. Tout au plus aujourd’hui « licencié »  ou plutôt « désagrégé de vélosophie »… N’y voyez cependant aucune moquerie, juste une pointe d’humour. Je suis un électron libre, cependant que j’ai dans le même mouvement, toujours oeuvré pleinement à faire vivre la communauté internationale des cyclonautes, souhaitant de tout cœur enrichir la culture du voyage à vélo.
En tant que journaliste, j’ai souvent mis en lumière des anti-héros du quotidien, tels que des pédaleurs de rickshaws à Lhassa, au Madhya Pradesh, à Dakha, à Pnom Phen ou des personnages insolites tels que feu Robert Marchand, Hervé Neukomm ou Heinz Stücke par exemple. Le court-métrage Bike for bread (2013, 26′) que j’ai coréalisé avec Raphaël Jochaud est consacré aux livreurs de pain à vélo du Caire. La rencontre du vélo et de l’art constitue pour moi un aboutissement suprême.

Parmi d’autres, j’ai ainsi fait miennes, cette citation de Vélocio : « Faire œuvre utile, voilà la seule justification de notre existence. Donner à sa vie un but qui soit d’utilité générale et pouvoir dire en mourant : j’ai augmenté la richesse collective, le fond social (…) »

Avec mes écrits et mes conférences, ma participation ou mon soutien tour à tour bénévole, financier ou rédactionnel à différentes actions en faveur du vélo, la création collective du Festivélo (le seul festival suisse entièrement dédié au voyage à vélo), mon engagement militant de première heure à PRO VELO Genève, mon affiliation de longue date à warmshowers.org et d’autres réseaux d’hébergements gratuits et réciproques, je pratique aussi tout au long de l’année, du « bike consulting » : je rencontre simplement de jeunes futurs voyageurs à vélo sur leur demande, avant leur départ et souvent les accueille au terme de leur périple.

Enfin, La Bastide de la Source, le lieu de vie, d’accueil et culturel, que je partage avec ma compagne en Luberon depuis cinq ans, a déjà vu passé d’innombrables voyageurs à vélo. D’autres projets y sont sur le feu. Le vélo est ma pensée motrice.

Vous avez passé une bonne partie de votre vie à sillonner la planète à vélo. Pourquoi cette envie d’ailleurs ?


Ce fut d’abord un rêve d’enfant qui alla dévorer, peu à peu, une grande partie de ma vie, principalement à la force de l’âge. Cette passion s’origine dans la lecture d’innombrables récits de voyage. (La terre sur deux roues d’Alain Guigny, publié en 1979, m’a fortement inspiré) et dans mon terroir familial, avec ses failles sismiques.
 
Elle fut aussi nourrie par des rencontres de cyclovoyageurs de tous horizons, par ma curiosité débordante et une passion parallèle pour la montagne, de mon amour profond de la géographie et des humains. Bravant le monde, je me sens assez proche du personnage de Godlmund dans l’œuvre d’Hermann Hesse. Contrairement à Narcisse, son alter ego, il m’a fallu vivre à fond, expérimenter la Terre de mon propre souffle, pour comprendre des choses essentielles sur mon être et la vie. Comme l’écrivit Nietsche : « Deviens qui tu es ».

La permanence tranquille du vélo répond parfaitement à ma lenteur naturelle, à ma recherche d’unité, d’une forme d’harmonie, d’une utopie nomade pour embrasser la terre. C’est l’un des thèmes centraux de ma vie. Dans L’appel du volcan (2021), dédié à ma famille, je raconte les coulées de lave brûlantes qui ont imprégné mon existence et constituent mon magma intérieur.

Vous avez réalisé un documentaire intitulé « Lettre à Vélocio », que représente pour vous Paul de Vivie alias Vélocio ? Ces préceptes vous parlent-ils ?


La concrétisation du documentaire Lettre à Vélocio est d’abord une histoire d’amitié avec Olivier Meissel, le réalisateur, et avec Matthieu Allereau, qui travaille à la Clavette grenobloise (promotion des ateliers vélo participatifs et solidaires). Comme Vélocio, je considère l’amitié comme un bien précieux.

Je suis un grand admirateur de Vélocio que je considère comme le premier des vélosophes. Il fut un véritable touche-à-tout visionnaire qui a fait bien avant tout le monde le tour de la planète du vélo, alors que je n’ai fait que prolonger son rayon d’action spatial, en réalisant un tour de la planète à vélo.

Je me sens pourtant en filiation spirituelle, car je crois profondément que nous sommes tous reliés par des fils invisibles. Ceci est le cœur de notre court-métrage. Comme l’a si bien exprimé l’écrivain brésilien Osman Lins : « Comment raconter le voyage et décrire le fleuve le long duquel, autre fleuve, existe le voyage, de telle sorte que, dans le texte, ressorte la face occulte, impérissable, celle  d’où l’événement, mobile et immobile, sans commencement ni fin, nous défie ? »

Les préceptes de Vélocio n’ont pas pris une seule ride : ils sont d’une étonnante modernité. Le septième particulièrement « Ne jamais pédaler par amour-propre » relève d’une grande pertinence à notre époque, dans notre société d’hyperindividualisme et de réseaux dits « sociaux ».

Claude Marthaler devant le palais du Potala à Lhassa, Tibet.

 

Qu’allons-nous trouver dans ce road-movie qui  va vous emmener durant huit jours sur les routes ?


Nous sommes partis à vélo du cimetière de Loyasse où repose Paul de Vivie, puis avons relié quelques lieux emblématiques de la vie du Maître jusqu’à Pernes-les-Fontaines, son lieu de naissance. Ce court-métrage vise à rendre hommage à un personnage exceptionnel qui a su jeter les bases concrètes du cyclotourisme et le théoriser. Sa puissance d’inspiration m’émeut profondément.

Récemment atteint d’un type de cancer par trop connu des cyclistes masculins, pour conjurer le sort, je jette un coup de rétroviseur à mon propre passé et fais appel à la figure tutélaire de Vélocio, aux géants, mythes, cols et pionniers cyclopéens pour traverser le feu, que fredonne dans mes veines, encore et toujours, le joyeux chant des roues. Ce road-movie célèbre en amitié l’aventure d’être en vie – en selle, plus qu’ailleurs encore.

La Fédération française de cyclotourisme est partenaire de votre film, comment s’est opérée la rencontre ?


Une première fois, d’une façon organique, lorsque j’ai eu vent que la Fédération organisait pour ses cent ans, une cérémonie sur la tombe où gît Paul de Vivie. Nous nous y sommes donc tout simplement rendus, Olivier Meissel caméra au poing. J’avais déjà entamé une modeste correspondance avec Charles de Vivie, arrière-petit-neveu de Paul de Vivie, et lu avec intérêt la biographie qu’il consacra à son illustre aïeul. Un chaleureux contact s’établit aussitôt entre nous.

Olivier et moi-même, habitant tous deux non loin de Pernes-les-Fontaines et sachant que plusieurs vélos construits par Vélocio y étaient temporairement exposés, avons tout exprès visité le Musée Comtadin du Cycle pour tourner quelques images supplémentaires.

Quelque temps plus tard, sans que nous l’ayons expressément contactée, la Fédération française de cyclotourisme s’est dite intéressée à soutenir notre projet de film financé par une centaine de contributeurs.trices et donateurs-trices, dont certains anonymes. Nous leur sommes extrêmement reconnaissants.

Un paradoxe que la Fédération française encourage un Suisse ?


Nous tenons d’abord à vous remercier pour votre soutien. Pas autant qu’il n’y paraît, car de quelque nature qu’elle soit, une passion est contagieuse et déborde allègrement de tous confins nationaux.
 
Voyager m’a appris à comprendre le monde par aires culturelles. Celles-ci s’étendent bien souvent au-delà des frontières politiques. La langue française rassemble votre pays et la Suisse romande. Nous sommes voisins. Genève, ma vie natale, possède d’ailleurs 110 km de frontière avec la France pour seulement 4 avec la Suisse! Depuis l’enfance, j’ai toujours pu traverser librement tous les postes-frontières (et ils sont nombreux!) menant en France.

Et puis, il n’existe qu’un Vélocio, rassembleur charismatique s’il en est, et aucun semblable personnage helvétique qui aurait inspiré une hypothétique « Fédération suisse de cyclotourisme » (juste une jeune « Association romande pour le voyage à vélo ») !

Enfin, le vélo lui-même est un véritable trait d’union planétaire entre les hommes, sa simplicité et son  omniprésence symbolise leur insondable unité. Par ailleurs, Olivier Meissel (réalisateur) et Matthieu Allereau (autre protagoniste) sont tous les deux Français.

En conclusion


Pour toutes celles et tous ceux qui souhaiteraient encore soutenir le documentaire Lettre à Vélocio, il est toujours possible de contacter directement Claude Marthaler via cyclonaute@gmail.com  / https://claudemarthaler.ch

Claude Marthaler au Kirghizistan durant l’hiver 1994.

 

Texte : Jean-Pierre Giorgi–Photos (sauf mention) : Claude Marthaler
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