Paul Texier, rencontre cyclo d’un autre type

 
Paul Texier est un spécialiste de la longue distance. Ultra rouleur de la première heure dans une France qui sort tout juste de la guerre. Nous faisons par le biais de Gilles Bertrand la connaissance de celui qui incarne l’esprit du cyclotourisme.

« Paul Texier traversa ainsi un demi-siècle, les mains sur les cocottes, le nez bien au-dessus du guidon pour s’imprégner de cette France des champs et des coqs qui gueulent au petit matin. » C’est par ces mots que le journaliste Gilles Bertrand résume sa rencontre avec Paul Texier.

Gilles Bertrand est journaliste photographe, spécialiste de l’endurance aussi bien à pied, par le biais de course nature, que du cyclisme. C’est quasiment par hasard qu’il fait la connaissance d’un voisin, qu’il croise souvent mais sans rien savoir de la passion et du vécu de cet homme extraordinaire.

« J’ai rencontré pour la première fois Paul à la croisée d’un chemin, loin après la Croix des Prisonniers, à l’aplomb de la cabane forestière du Prat dans la montée du Saint-Guiral. Finalement, je ne connaissais pratiquement rien de cet homme. Peut-être n’avais-je pas été assez curieux ? »

C’est pour en savoir plus sur le secret de Paul Texier, un secret bien gardé, très peu dévoilé même auprès de ses anciennes amitiés, une vie passée sur un vélo à sillonner la France et l’Europe, longues et foldingues chevauchées fantastiques sur deux-roues, les mains sur un guidon comme on met les mains sur les hanches de sa bien-aimée, sa petite reine, sa fiancée puis sa belle mariée pour une éternité.

Gilles Bertrand nous livre ci-dessous sa rencontre avec Paul Texier.

Lire l’article sur Paul Texier

https://www.liveaveyron.com/2021/03/26/paul-texier-ultrabiker-avant-lheure/

Rencontre avec l’homme qui a vu l’homme

 

Gilles Bertrand, vous êtes journaliste photographe, pouvez-vous revenir brièvement sur votre carrière et votre implication dans le sport 

Mon premier reportage remonte à 1981, en Éthiopie où je rencontre Mamo Wolde qui avait été champion olympique sur marathon.  Un reportage que je vends à Spiridon. Voilà le début d’une aventure comme journaliste et photographe avec le magazine VO2 puis Athlétisme et Endurance. Trente ans à sillonner le monde, les grandes rendez vous internationaux. J’ai couvert sept Jeux Olympiques et près de 80 championnats du monde toutes disciplines confondues.

J’ai par ailleurs publié huit livres dans l’univers du sport dont trois primés au Sportel : Kenya les Coureurs du Siècle, Champs de Cross et Sport en Chine, ombres et lumière. En parallèle de cela, j’ai créé de nombreux évènements, mon premier à 23 ans, le « Petit Tour du Rouergue », puis la « Rock’n Bike », « La Grande Course des Templiers », « La Piste des Seigneurs », « « Trail en Aubrac », « la Course du Viaduc de Millau» , et « l’Hivernale des Templiers» .

Comment s’est opérée la rencontre avec Paul Texier ?

C’est une rencontre très particulière, un petit matin d’automne alors que je balise le parcours des Templiers. Je vois arriver dans mon dos, un monsieur d’un certain âge, (près de 70 ans), mais le pas très alerte, proche d’un marcheur de grand fond. Je m’inquiète de voir cet homme couvrir seule la distance des Templiers en solitaire. Il me rassure, je le conseille sur quelques passages délicats à trouver mais il n’est pas plus inquiet que cela et je le vois disparaître dans les genets. Sans en savoir plus.

Puis j’ai retrouvé cet homme sur un trottoir, je l’ai reconnu à son allure toujours vive, à marcher, le sac sur le dos, le pas bien cadencé. Et c’est ainsi que nous avons sympathisé comme de bons voisins mais sans vraiment se livrer. J’étais attiré par la douceur de sa voix, de son regard.

À chaque rencontre, nous parlions de tout, de rien, des Templiers également. J’avais juste appris qu’il avait été suiveur de Claude Facquet sur l’épreuve Strasbourg – Paris. Sur le plan sportif, c’est uniquement ce point de détail qui nous reliait. Et puis, il y a deux mois maintenant, je vois sa silhouette sur le trottoir, un midi en rentrant du bureau. Il me fait signe, je m’arrête, je suis surpris  et il me dit « J’ai quelque chose pour vous, je pense que cela va vous intéresser ».

Aviez-vous idée du vécu de cet ultra-cycliste ? Il vous a ouvert sa boîte de pandore. Que contenaient les fameuses valises ?

Non très franchement, ce fut une étonnante surprise. Sur la table de la salle à manger étaient disposées trois valises faites main, contenant bien rangées toute sa vie de cyclo. Tous ses cartons de contrôles (environ 1 300), ses diplômes, les cartes Michelin avec lesquelles il préparait ses grands itinéraires, des courriers de club pour s’inscrire, des calendriers de brevets, des carnets de route, des petites fiches réalisées à la main pour naviguer dans cette France profonde sans GPS, sans téléphone…

Un vrai trésor avec également toutes les récompenses offertes à l’époque aux finisseurs, des broches, des médailles, des plaques de vélo, quelques photos, des petits trophées gravés au très souvent l’aigle est représenté !

Vous avez croisé durant votre carrière de grands champions, pourtant vous semblez très ému par votre rencontre avec Paul Texier. Pour quelle(s) raison(s)?

Paul Texier, c’est l’humilité même, la discrétion  absolue. Oui, j’ai été ému car ce fut un don, un don de lui, une marque de confiance, un partage, presque une offrande. Paul Texier c’est tout ce qui n’existe plus dans le sport. Cet homme a certes vécu en son temps, sans Internet, sans les réseaux sociaux, sans les lives, les stories… mais je pense qu’aujourd’hui, il agirait encore de la sorte. Monter sur un vélo, rouler, rentrer chez lui et garder bien profond le secret de ses émotions, de ses sensations, le piment de ses aventures.

J’ai quitté le monde du sport, justement parce qu’il manquait tout cela. J’avais besoin de rencontrer des hommes, des femmes comme lui. Dans la passion extrême mais dans la réserve, dans la modestie extrême.

Chez lui, si je n’avais été curieux, je n’aurai pas su qu’il avait pris part dix fois aux 100 km de Millau, il ne m’aurait rien dit. Et qu’à la retraite, à force d’acharnement, il était devenu un des plus grands maîtres européens dans le tournage sur bois. Et là, encore une fois sans faire étalage à quiconque de son grand talent artistique capable de reproduire des œuvres d’une complexité absolue.

À un moment de l’interview, vous posez la question : « Aviez-vous le sentiment de réaliser des choses extraordinaires ? » Quelle fut la réponse ?

Sa réponse fut courte, elle n’a pas été étayée ni développée.  La phrase à quelques mots près était la suivante « Ben non, ce que j’ai fait, tout le monde pouvait le faire ». Voilà rien de plus. J‘ai relancé mais il me répéta une seconde fois la même réponse et rien de plus. Juste il ajouta « Je ne vis pas dans les souvenirs ».

À l’issue de votre rencontre, Paul vous a confié toutes ses archives. Qu’allez-vous faire de ce trésor ?

Si le temps me le permets, j’aimerai que ces archives qui ont un vrai caractère historique dans le monde de cyclisme ultra distance puisse être montrées, exposées.
La nouvelle génération des ultra bikers doit s’inspirer d’hommes et de femmes comme lui pour que ce sport que l’on présente authentique ne soit pas dévoyé. Mais faudrait-il obtenir son autorisation ? Pour l’heure, je crains que non, il veut rester dans l’ombre, il faut respecter ce vœu.

Texte : Jean-Pierre Giorgi / Gilles Bertrand – Photos : Gilles Bertrand et Archives de Paul Texier
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