EuroDiagonale Lisbonne-Hendaye (2/2)

Ce week-end, nous vous proposons un récit de voyage en deux épisodes. Il s’agit de l’EuroDiagonale Lisbonne-Henday. Deuxième et dernière partie de ce voyage ibérique… 

Premières montagnes

Mardi 13 septembre, Plasencia-Avila, 178 km

Les marchands forains prennent possession de la Plaza Mayor à l’heure matinale où nous larguons les amarres, le petit déjeuner bien calé au fond de l’estomac. Dans la nuit, le long du Rio Jerte, des courants d’air froid nous hérissent le poil que des courants d’air chauds apaisent aussitôt, alors que dans le ciel, des étoiles filantes tracent leur diagonale. D’entrée, la route avait attaqué l’ascension du Puerto de Tornavacas, ascension toute en douceur, régulière. Au sommet, nous tournons le dos à l’Extramadura pour descendre en roue libre vers la Castilla y León. En roue libre, pas pour longtemps, car dans la ville de El Barco de Ávila dominée par son imposant château du XIVe, nous délaissons la nationale pour les routes de la Sierra de Gredos.

Avant la bagarre, nous squattons deux bancs, en pleine rue commerçante : l’un satisfait son envie de melon, l’autre son envie de saucisse, l’autre son besoin de manger, tous nous nous offrons un petit plaisir sous le regard amusé des nombreux passants. Faut assumer ou trimballer les provisions, le cyclodotourisme sans le kil de rouge !

Mais il faut repartir au charbon, the chaud must go on ! Imaginez que la température avoisine 42 °C, que droit devant vous un tapis bitumé s’élève régulièrement, dans un paysage de collines couvertes d’herbes brûlées par le soleil et plantées, par endroits, de chênes verts ; pas de vie apparente et quatre cyclistes dispersés le long de la pente qui n’en finit pas, qui n’en finit pas… En silence, chacun d’eux s’enferme dans ses pensées. À quoi, de quoi rêvent-ils ? Mais notre cerveau en surchauffe est-il en mesure de commander autre chose que le mouvement lent d’une jambe qui s’élève, pendant que l’autre redescend, est-il capable de faire oublier le mal aux fesses ? Non !

Nous continuons à nous élever par paliers. Le rythme est pris mais toujours la même obsession, trouver de l’eau ! Le tuyau des maçons qui se carbonisent sur un chantier est notre source et notre douche. Après les collines, des montagnes plus élevées. Nous avons largement franchi les 1 000 m d’altitude et soudain, près d’un village accroché à mi-pente exposée plein sud, l’oasis ! L’eau coule de partout…

Je mouille ma casquette dans une  source abondante qui saute par-dessus un mur, remplit le fossé, déborde sur la route m’obligeant à prendre un bain de pieds bienvenu. Les vaches sont à la fête et s’en donnent à cœur joie à brouter l’herbe d’un vert que l’on avait oublié. Avec leurs sonnailles qui tintinnabulent, ces vaches là ont l’air beaucoup plus gaies que les malheureuses efflanquées que nous avons vues ces derniers jours. Mais, quelques centaines de mètres plus loin, plus d’eau, plus de source, plus de fontaines, seulement des corbeaux qui crient leur misère.

« Il est temps de manger, il nous reste encore près de 80 km et on aura encore du dénivelé et il ne faudra pas perdre trop de temps… » L’ancienne maîtresse d’école, la maman, la mamie s’en donne à cœur joie. Pensez-donc, elle a deux néophytes à se mettre sous la dent et un rebelle qui l’envoie promener : « Oui maman, oui maman » comme disent ses complices albigeois qui connaissent la musique. À cet instant, comme j’aimerais entendre le gazouillis des oiseaux, le murmure d’un ruisseau qui s’échappe au milieu des hautes herbes, jouer le dormeur du val (sans les «  deux trous rouges au côté droit »). Mais, pas d’oiseaux. Pas de ruisseau. Plus d’herbe verte et tendre. Un univers sec, mort. Et maman qui reprend sa litanie. Parle à ma tête, mon séant est douloureux…

Ainsi passent les heures chaudes rythmées par le mouvement de nos jambes, une main posée sur le bidon dont l’eau tiédasse a du mal à étancher notre soif. Mais maman a raison et la halte est la bienvenue. La montée suivante au milieu de forêts de chênes me paraît plus facile et je prends même du plaisir à grimper jusqu’au sommet désolé où poussent des genêts alors qu’en arrière plan, apparaissent des montagnes plus élevées.  Nous sommes désormais sur un plateau et nous enchaînons montées et descentes avant une belle plongée qui nous conduira au pied du dernier col de la journée, le puerto de Menga à 1 564 m.

L’ascension par paliers s’effectue sous une chaleur torride mais avec un léger vent favorable. Les lignes droites succèdent aux lignes droites. Dans le quatuor, chacun joue sa partition en solo et gère, qui sa soif, qui son mal aux fesses, qui sa fatigue ou tous ces maux à la fois.

Avila nous attend quarante kilomètres plus loin, après une trop brève descente, au bout d’une interminable ligne droite de vingt bornes de long. Put… que j’en ai marre ! Put… que j’ai mal au cul ! Je deviens vulgaire mais ça soulage ! Encore un effort, il faut jeter ses dernières forces dans la grimpette pavée vers la citadelle ceinte de murailles médiévales. Nous errons un peu à la recherche de notre hôtel, perdons encore du temps à trouver le garage pour nos vélos et enfin, un peu de repos dans notre trois étoiles ! À 1 131 m d’altitude, Avila a beau être la capitale provinciale la plus élevée d’Espagne, la chaleur est encore au rendez-vous sur la place où nous dînons à l’heure locale. Michel d’Ayrens qui en a le plus bavé, s’offre une chope de bière d’un volume qu’il ne m’autorise pas à dévoiler à son épouse ! 

Premier plantage

Mercredi 14 septembre, Avila- Ayllon, 184 km

C’est avec le regret de ne pas avoir vu les murailles de la ville aux premiers rayons de soleil que nous quittons Avila dans la nuit noire. Une petite hésitation au premier carrefour, une remarque timidement émise par Michel d’Ayrens et nous nous engageons vers un rond-point plus important. Direction l’autopista de Ségovie et notre route est rapidement confirmée par un panneau N 110… Nouveau rond-point, nous sommes sur la 110 mais plus d’indication Ségovie. J’émets un doute, « 110, C’est bon, on roule » nous intime Nicole. Le fond rouge du panneau N110, s’est mué en un fond vert AV 110, j’émets un second doute balayé par un nouveau « 110, C’est bon, on roule » . C’est vrai que quand le rouge passe au vert, on roule…

La route s’élève régulièrement, tout le monde mouline allègrement, profite de la fraîcheur nocturne. Magie de la nuit, quelques phares de voitures trouent l’obscurité, des chiens aboient au loin ou nous surprennent derrière les murs de clôture. Les fenêtres des maisons s’illuminent les unes après les autres, les bornes kilométriques défilent…mais aucune ne nous indique Ségovie… ?

Dans notre dos, l’orient rosit. Timidement, Michel d’Ayrens lance : « Le soleil ne se lève pas du bon côté ! »  Quelle idée ? Pourquoi veut-il que le soleil se lève à l’ouest ? Michel se fie au soleil, je cherche l’autoroute que nous devions retrouver rapidement mais la rencontre tarde à venir… ?  » Le soleil ne se lève pas du bon côté ! » répète Michel sur un ton beaucoup plus agacé. Il est temps de sortir la carte et de la déplier dans le faisceau de la lampe. Ségovie nous a fait un enfant dans le dos ! Nous verrons les murailles d’Avila sous le soleil ! Vingt bornes supplémentaires, une heure perdue et la moutarde qui me monte au nez à défaut de me tartiner le pain du petit déjeuner. Un consommateur nous indique la bonne route, dommage que Michel ait manqué d’autorité dès la première interrogation ! 

Une large avenue le long des remparts, une belle nationale (la N110, la vraie indiquée sur fond rouge !) qui ne va pas tarder à jouer à cache-cache avec l’autopista. Lignes droites, toboggan, chaleur, vent latéral assez fort, tous les ingrédients pour ronger notre énergie. A l’approche de midi, apparaît Ségovie au sommet d’une côte, ou plutôt, la cathédrale, sa haute tour et ses clochers de pierres dorées. Me reviennent alors en mémoire les images d’un reportage que la télévision avait consacré à la ville natale de Pedro Delgado soupçonné de dopage lors du tour de France 1988, une ville perchée sur son rocher, une ville écrasée de chaleur. Tout à fait la même image de cette ville que je voyais plus petite. Que faisons-nous ? Où mangeons-nous ? Nos cerveaux ont du mal à pédaler… un petit tour au supermarché, un petit tour au parc et pizza, bière, coca… à l’ombre, près des jeux pour enfants où Michel se détend, allongé sur le toboggan. J’avais également en tête l’image d’un imposant aqueduc romain, nous le découvrons à la sortie de la haute ville, 728 m de long, 28 m de haut sur deux étages.

À cet instant, à près de 100 km d’Ayllon, nous pensons que l’après-midi sera difficile. Ce ne fut certes pas une partie de rigolade mais le vent plutôt favorable et le profil plutôt descendant nous firent un peu oublier la monotonie du paysage. L’arrêt casse-croûte à mi-parcours accomplit son miracle quotidien et, pleins d’enthousiasme et de confiance, nous filons sur l’autoroute que nous sommes contraints d’emprunter sur quelques centaines de mètres. Le paysage se fait plus varié au milieu de forêts de chênes, de chênes verts et de champs de céréales. À l’arrière plan, s’élève la Sierra d’Ayllon qui abrite une station de sports d’hiver. Comment peut-il neiger dans cette région ??

Ce soir, notre hôtel semble un peu à l’abandon. Pas de garage pour les bicyclettes que nous montons dans les chambres, pas de menu affiché… Nous sommes un peu déboussolés mais tout s’arrange !

Premiers effets de la crise

Jeudi 15 septembre, Ayllon-Encizo 165 km

Nouveau départ de nuit, à la fraîche, pour un retour sur notre N110 qui se faufile dans la vallée étroite qui entaille le plateau. De loin en loin, des chaumes où, au petit jour, dans le silence de notre progression, dans le froid du petit matin, nous surprenons des biches, des lapins en quête de pitance. Nous trouverons la nôtre dans le village de San Esteban de Gormaz, sur la route du Cid. Un joli village sur la rive du Duero, son château, ses ruelles, sa plaza Mayor, son église romane… mais nous avons les yeux de Chimène pour un petit bistrot !

Quelques kilomètres plus loin, El Burgo de Osma qui aurait bien mérité une petite visite mais, mais… il faut avancer et reprendre nos parties de cache-cache avec l’autoroute qui se confond souvent avec la nationale. Si, quelques années en arrière, les autoroutes espagnoles gratuites étaient construites en site propre, aujourd’hui, elles empruntent largement le tracé des nationales, nous rejetant sur le camino de servicio, nous obligeant à sauter la talanquera, la glissière de sécurité, pour revenir sur la nationale quand l’autoroute est en panne de financement ! Pour corser le tout, la circulation est importante, le profil vallonné et la perspective de déjeuner dans la grande ville de Soria peu réjouissante. D’un commun accord, nous choisissons de faire halte dans le restaurant d’un petit village, une dizaine de kilomètres avant. « Pas de service avant 13 h ! »  me répond le patron qui avait oublié d’être aimable. Qu’à cela ne tienne, nous attendrons son bon vouloir, devant un demi, à l’une des tables de pierre qui trônent à l’ombre… Avant le départ, l’imposante fontaine de la place a droit à notre visite. Personne n’est pressé de repartir à l’heure chaude où les cyclos vont boire.

Pour la digestion, nous nous offrons l’ascension du Puerto de Oncala après une nouvelle halte fontaine suivie d’une partie de manivelles avec Michel des Guirguiles. Sur le plateau que nous avons atteint, le vent souffle favorablement, les pales des éoliennes tournent, la végétation souffre, nos jambes tournent, nos fesses souffrent… Au bas de la descente, le hameau de Yanguas, au bord du Rio Cidacos, est un havre de tranquillité, son bar associatif, une oasis en panne de pression et d’enthousiasme chez les jeunes serveurs.

Que cette vallée est agréable à parcourir ! Nous allons finir en roue libre dans ce décor de verdure au fond d’un canyon encaissé… que va bientôt barrer un ouvrage destiné à l’irrigation de la Rioja. La route qui évitera le barrage est déjà construite et adieu roue libre, fraîcheur, sourires, bavardages, il faut se remettre à l’ouvrage avant une plongée brutale vers la vallée des dinosaures et Enciso, terme de notre étape.

Entre le lointain passé des dinosaures et le futur proche du barrage, 100 m au-dessus de leur tête, le jeune couple à la tête de l’hôtel rural qui nous accueille ce soir, nous semble un peu inquiet pour son avenir. Et pourtant, tout dans cet établissement est soigné et raffiné mais sans ostentation, cuisine, vin, chambres, décor. 

Premier contact avec la police

Vendredi 16 septembre, Encizo-Olave, 148 km

Nous prenons notre petit-déjeuner bien installés dans une petite pièce où les gérants ont préparé une table couverte de nourriture et de boissons,  un plaisir auquel nous goûtons après avoir longuement cherché l’éclairage.

Retour dans la vallée où nous roulons bon train, les villages défilent. Le jour se lève à Herce, le soleil éclaire les falaises de grés rouge percées de nombreuses habitations troglodytes.  Le minéral est présent autour de nous avant l’arrivée sur les terres fertiles où poussent cultures maraîchères et arbres fruitiers ; la vallée de l’Ebre n’est pas très loin, après la capitale régionale de Calahorra jumelée avec la ville de Caussade, notre voisine. Commencent alors des kilomètres et des kilomètres de route sans intérêt, on a faim, on s’ennuie. J’en ai marre ! Et l’arrivée sur Estrella qui n’en finit pas, qui n’en finit pas.

« Hep ! Garez-vous sur le bas-côté ! »  C’est « maman » qui se fait taper sur les doigts par la Guardia Civil pour avoir roulé un peu trop à gauche.

L’arrêt casse-croûte tant attendu est bienvenu et bien complet. Tout y passe, pain, saucisse, tortilla, fruit. Prochain arrêt, Puente la Reina sur le Camino de Santiago. Toboggan, pèlerins, autoroute, vent de face sont au menu de l’intermède.

Aujourd’hui, la température est plus clémente et peine à atteindre les 37° ! Une belle petite descente et nous mettons les pieds sous la table au point de jonction du chemin navarrais et du chemin aragonais, à deux pas du vieux pont du XIe  siècle qui vit et voit passer tant de marcheurs. Michel d’Ayrens grimace en mangeant sa tranche d’ananas dont l’acidité titille les innombrables boutons qui hérissent  sa bouche et sa langue. Dur, de concilier cyclotourisme et antibiotiques ! La pharmacienne consultée lui donne un traitement un peu contraignant qui lui interdit de boire pendant de longues minutes après avoir badigeonné sa langue. Et pourtant il faut repartir, vent de face, se farcir les 8% de pente du Puerto de Perdón d’où l’on aperçoit les Pyrénées brumeuses tout au fond d’un décor immense avec Pampelune, la capitale de la Navarre au premier plan.

Et c’est reparti pour le cache-cache avec l’autoroute ; cette fois nous finissons dans un chemin caillouteux qui se prolonge par un sentier étroit en bordure de la glissière de sécurité que nous pouvons enfin franchir dans les faubourgs de la ville. Une grande ville, ça se traverse par le centre-ville, un œil à gauche, un œil à droite, un œil devant, un œil dans le rétroviseur, un œil sur les panneaux et un sur le sémáforo. Comptez bien, il reste un membre de l’équipe qui a les yeux partout et les oreilles grand ouvertes. Une sortie interdite aux vélos pour cause de tunnel, un petit crochet et après quelques kilomètres vent de face, notre dernier hôtel du voyage : la Francia, c’est par-là !

Première pluie, dernière étape

Samedi 17 septembre, Olave-Hendaye, 78 km

Décidément, la nature fait bien les choses ! Pour notre ultime étape nous allons pouvoir enfin enfiler les tenues de pluie que nous promenons depuis Lisbonne. Adieu Extramadura, Castilla y León, bonjour le vert Pays basque bien humide. La brume, le crachin coulent, nous enveloppent. L’ancienne nationale qui double la voie rapide, monte tranquillement le Puerto de Belate et ses 847 m en se jouant des tunnels, pour mon plus grand plaisir. La descente est effectuée prudemment  dans un paysage automnal. La route bien mouillée est jonchée de feuilles mortes, de bogues des châtaigniers qui couvrent les pentes. En quelques heures, nous sommes passés de l’été à l’automne, des fruits gorgés de soleil aux châtaignes qui forment un tapis glissant.

C’est pas le moment de chuter ! Nous avons le temps et… un peu faim ; un dernier arrêt ravitaillement s’impose dans un grand établissement en bordure de la nationale, près de la Bidassoa qui va nous conduire à Hendaye. Déjà Biriatou, tout s’enchaîne, tout se précipite, on se faufile au milieu des voitures, on est à Hendaye.

Voilà, c’est fini, il faut sortir les sourires pour les traditionnelles photos devant la pancarte et rejoindre la gare où nous devons accomplir les dernières obligations du règlement : tamponner le carnet de route et poster la carte d’arrivée. Le privilège de ce geste échoit à Michel d’Ayrens, ses boutons et son mal aux fesses. Encore une photo, un dernier demi, Monique et Laurent embarquent Michel des Guirguilles et nous allons avoir le plaisir de converser gentiment avec une contrôleuse de la SNCF à qui nous aurions volontiers fait bouffer son képi. Quand Angela et Nicolas auront réglé les problèmes de dettes, elle pourra lui expliquer comment les trains allemands prennent en charge les vélos…

Les images d’un océan agité défilent derrière les vitres du train, nous pouvons nous détendre…

Texte et photos : Georges Golse – Écrit entre le 19 octobre et le 06 décembre 2011

 

Pour aller plus loin sur les brevets des Diagonales de France :

https://ffvelo.fr/activites-federales/adherents/les-brevets/brevets-touristiques/brevet-des-diagonales-de-france/

http://www.diagonales-de-france.info

ATTENTION: Afin d'éviter les abus, les réactions sont modérées 'a priori'. De ce fait, votre réaction n'apparaîtra que lorsqu'un modérateur l'aura validée. Merci de votre compréhension.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.