Histoire : Du Cycliste au cyclotourisme

Voici 130 ans, par la plume de Vélocio, les cyclotouristes prenaient conscience de leur spécificité dans le cyclisme. Le cyclotourisme a ceci de particulier qu’il appartient à deux mondes différents, il se trouve à la lisière de l’un et de l’autre. Un monde physique, celui du corps, celui du sport, de l’effort, et un monde intellectuel, celui de la culture, du tourisme. Le cyclotouriste est plus qu’un sportif, et plus qu’un simple touriste.

Depuis 1865, quelques rares vélocipédistes arpentaient la France et les pays voisins pédales aux pieds sur le plat et pied à terre dans les montées. À vélocipède puis à grand bi, on ne dissociait pas les coureurs des simples touristes, ils étaient si peu nombreux ! Tous se trouvèrent réunis en 1881 dans l’Union vélocipédique de France. Mais à partir de 1886, avec l’apparition en France d’une nouvelle machine à deux roues égales qu’on va bientôt appeler bicyclette, le nombre de cyclistes augmente tout à coup considérablement : la bicyclette est plus sûre que l’acrobatique grand bi, plus légère que le lourd tricycle et – surtout – permet d’aller beaucoup plus vite. Dès lors, l’écart va se creuser entre les coureurs qui pédalent pour l’argent et la gloire, et les cyclistes « de loisir » qui voient dans la bicyclette un commode instrument de découverte, de tourisme, de plaisir et d’indépendance.

À la fin de 1886, Paul de Vivie, jeune courtier en rubans mais également vélocipédiste passionné et membre fondateur du Club des cyclistes stéphanois, fonde l’Agence générale vélocipédique. Cette entreprise sans capitaux a pour objet l’importation des nouvelles bicyclettes anglaises et leur revente sur le marché français. Dans la foulée, Paul de Vivie lance une publication : Le Cycliste forézien. C’est un support publicitaire pour son entreprise et un instrument de promotion pour la bicyclette vantant tous les avantages qu’on peut tirer de ce moderne moyen de locomotion, notamment pour les excursions. Mais cette publication répond surtout à un plaisir d’écrire et d’être lu, car si Paul de Vivie est un pratiquant enthousiaste du vélo, il écrit aussi depuis son adolescence : des poèmes et des récits d’excursion publiés jusque-là par le journal local.

Le premier numéro du Cycliste forézien, bien modeste avec ses huit pages, sort le 1er février 1887. Paul de Vivie s’y déclare directeur-gérant. Le rédacteur en chef se nomme Vélocio. C’est évidemment un pseudonyme – usage courant à l’époque – qui cache… Paul de Vivie lui-même. Car ses moyens financiers sont extrêmement minces. Il sera le principal rédacteur de sa revue, les autres étant… ses abonnés. Dans ce numéro, Vélocio explique que Le Cycliste forézien a l’ambition d’être un centre de ralliement de la vélocipédie régionale et même nationale, de traiter de tout ce qui la concerne : état des routes, dangers et problèmes de la circulation, itinéraires, excursions et voyages… Bref, on y perçoit une revue traitant du cyclotourisme avant la lettre. Elle obtient tout de suite un assez vif succès, bien au-delà des frontières régionales, si bien qu’elle abandonne l’année suivante l’adjectif forézien jugé restrictif. Elle prend également un confortable embonpoint.

Mais comment nommer ces cyclistes de loisir qui se retrouvent dans ses colonnes, si différents des coureurs avec lesquels ils ne souhaitent pas être confondus ? Certains emploient le terme de « vélocipédeur » qui n’est pas génial. Vélocio celui de « vélo-touriste ». Puis, en décembre 1889, il invente un terme – ce dont il s’excuse -, celui de « cyclo-touriste ». Et il précise sa pensée : le cyclo-touriste est un cycliste pour lequel « aller en vélocipède n’est pas le but définitif, c’est simplement une des formes, la meilleure à notre avis, sous lesquelles il satisfait sa passion du tourisme. »

C’est en somme la naissance officielle du cyclo-tourisme : le tourisme à vélocipède (les seuls vélocipèdes étant désormais la bicyclette, le tandem et le tricycle). En 1893-94, Le Cycliste éditera un volumineux Annuaire du cyclotourisme rassemblant des récits de voyage. On peut le comparer à l’ouvrage Le guidon et la plume, réunion des meilleurs récits de voyage du Prix Charles Antonin, publié en 2001 par la FFCT.

En lisant ces premières années du Cycliste, on constate que Vélocio a fait prendre conscience aux cyclotouristes de leur spécificité dans le monde du cyclisme, et jusqu’en 1930 il l’a affirmée, l’a expliquée, l’a entretenue, les a poussés à l’indépendance. Ainsi sont nés le Touring club de France en 1890, puis la Fédération française des sociétés de cyclotourisme en 1923 qui est devenue notre FFCT. D’autres nations n’ont pas eu leur Vélocio, et leur cyclotourisme est resté étouffé dans une fédération de compétition. Rendons grâce à Vélocio, fort justement surnommé l’Apôtre du cyclotourisme, que nous célébrerons à Pâques-en-Provence à Vénéjan !

Texte : Raymond Henry

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