Le bel arc en ciel de Simon
4 septembre 2010 – Simon ne tient plus en place, il faut partir. Depuis de longs mois que l’on parle de ce voyage, c’est le jour du départ :
– Allez, on y va, roule Papa !
Dans la voiture, Simon est devant, il est le co-pilote, il a ses repères et connaît les panneaux :
– Papa, c’est trop vite, hoo !
À la pause café, il trépigne, ne prend pas de café ni de chocolat :
– Ce n’est pas l’heure ! dit-il.
Arrivée à 15 h 30 au CREPS de Poitiers ; c’est la rencontre avec les participants. Si l’on remarque les non-voyants et les paraplégiques, pour les autres c’est parfois moins évident : il y a là un petit échantillonnage de personnes que la vie n’a pas favorisées, soit à la naissance, soit par la suite, avec la maladie.
À 16 h 30 c’est le premier briefing de Michel, le responsable de ce beau projet. Michel rappelle la philosophie de ce voyage et nous prodigue conseils et informations. Nous nous présentons toutes et tous et quand arrive le tour de Simon il est bloqué, se tortille :
– Mamie, qu’est-ce que je dois dire ?
Jeannine se présentera ainsi :
– Je suis la Mamie de Simon !
Et c’est ainsi qu’elle sera surnommée par les autres participants… Mais, comment allons-nous faire pour retenir tous les prénoms des autres ?
Une distribution de maillots et tee-shirts est faite, pour que nous soyons solidaires et reconnaissables ; Odile et Mireille font la distribution et les essayages sont laborieux.
Enfin le départ
Simon est dans les premiers levés, après le petit-déjeuner. Il découvre tout ce petit monde qui formera une caravane : les 4 Handbikes pour paraplégiques, les 6 tandems, et puis il y a tous les autres ; pas toujours facile de s’aborder, les regards se croisent, les sourires sont timides, les petits mots pleins de retenues, mais doucement, les premiers contacts se nouent. La logistique est prête avec les camions : Michel et son camion impressionnant transportant tables, sièges, bagages, vélos ; Jean-Claude qui conduira le réfrigérant pour les boissons et pique-nique ; Gabriel sera au volant d’un daily « à tout faire », voyageant d’un groupe à l’autre et enfin, Michel aux commandes du véhicule « serre-file », adapté aux fauteuils des paraplégiques. Dans tout cet ensemble affairé, Pierre commence son film et son reportage pour la fédé, les journalistes de France 3 Poitou-Charentes leurs interviews.
Michel donne ses dernières recommandations et nous partons enfin, accompagnés par des cyclos « locaux » sous un beau soleil prometteur.
– Ouf ! c’était long, dit Simon qui prend la roue de Mamie.
Ce sera une journée test, courte mais suffisante en kilométrage. La disparité des handicaps engendre des capacités physiques différentes et nous ferons de nombreux regroupements. Pour beaucoup d’entre nous ce sera aussi la découverte des soucis journaliers, petits et grands, qui rythment la vie des handicapés : imaginez tous les gestes et actions que nous menons dans une journée, sans même y penser, imaginez-les sans l’usage de la vue ou sans l’usage de vos jambes par exemple… Il y aura beaucoup d’attente, ce qui nous permettra de continuer à nous découvrir mutuellement dans une ambiance cordiale : le mélange se fait, la mayonnaise est en train de prendre.
Nous contournerons Poitiers avec un beau panorama sur le Futuroscope, puis nous atteindrons une chouette base nautique pour le pique-nique. Ce soir nous serons logés en chalet et Simon partagera le sien avec Mamie bien sûr, Marcel et Laurence qui est non-voyante.
Aujourd’hui, grand challenge pour beaucoup
Passer le cap des 100 km… Simon est stressé.
– hou la la…100 km, répète-t-il.
Le mieux qu’il a réalisé avec son Papy c’est 80 km.
Les Handbikes auront leur parcours allégé : ils seront sur le parcours départ et le parcours final pour environ une cinquantaine de kilomètres au total, ce qui, à la force des bras, est un beau challenge. La pluie est là mais elle ne durera pas, le soleil reviendra jusqu’à la fin de la journée. Trois clubs locaux nous aideront sur le tracé, ils sont les bienvenus et remerciés pour cela.
Par on ne sait quel hasard Simon et sa Mamie s’égarent sur le parcours… Heureusement que Gabriel veille, au volant de son Daily il rattrape les brebis égarées et les remet dans le droit chemin, ce qui fera dire à Simon, à plusieurs reprises :
– ha ! Gabriel c’est notre sauveur !
Le logement de ce soir est sur une île de la Loire, juste en face du château d’Amboise : une jolie photo de groupe immortalisera cette belle journée.
Au repas, Michel offre les médailles aux participants ayant réalisé leur premier 100 km : ce sera très chaleureux et l’émotion générale presque palpable ; des gorges nouées, de petites larmes, et Simon n’échappera pas à cette ambiance. Quand Michel lui donne sa médaille il ne sait que dire et regarde sa Mamie qui est très fière, une larme au coin de l’œil.
Les choristes chanteront à chaque remise et à tue tête :
– Il (ou elle) est vraiment phénoménale, la-la-la-la-la !
D’Amboise à Beaugency, notre pilote annonce une étape plate
Michel propose aux Handbikes un challenge : faire les 90 km. C’est le terrain idéal pour eux car les côtes leurs sont doublement pénibles ; Martine, Lucette, André et Claude sont partants, avec un enthousiasme qui fait plaisir à voir. Simon est maintenant bien intégré dans le peloton, il lui arrive de « laisser tomber » sa Mamie pour suivre d’autres compagnons, il est attentif, bien en ligne et met en œuvre les nombreux conseils que son Papy lui prodigue lorsqu’ils roulent ensemble. Nous passerons à proximité du beau château de Chaumont pour arriver au pique-nique sur les bords de Loire, face à Blois. Ça roule bien : nos quatre amis ont des ailes, la moitié de leur challenge est réussi. Une nouvelle fois les cyclos locaux seront d’une grande aide car à l’arrivée de Beaugency la circulation est dense et faire passer une quarantaine de cycles divers n’est pas aisé.
Ce soir nous logerons dans une auberge de jeunesse et, comme la veille, une remise de médailles est faite à nos quatre camarades qui ont réussi un sacré challenge. Simon nous rappelle que la France joue une qualification délicate. Il connaît les joueurs, les dates des rencontres qu’il suit sur les programmes de télévision. La France gagnera et Simon et moi irons dormir le cœur égayé.
Jean ! Tu as ronflé !
Ce sera mon réveil ce matin ; Simon me gronde suivi de Laurence qui dit m’avoir entendu ronfler du fond du couloir : je suis extrêmement vexé… Autre mauvaise nouvelle, plus sérieuse celle là : il pleut, et pas un p’tit peu ! Simon a perdu sa gourde, Gabriel – son sauveur – va vite réparer ce petit souci. C’est tête baissée avec quelques plaisanteries pour faire illusion que nous partons. La pluie battante et le vent de face rendent les conditions pénibles mais, chose surprenante, les Handbikes ne se plaignent pas :
– Nous ne pouvons jamais rouler sous la pluie, alors, ça nous change, disent-ils.
Je m’en souviendrai les jours de pluie où je grogne contre ce foutu temps ! C’est un peu la débâcle : Martine a son pédalier bloqué et doit abandonner, Claude et Christophe s’égarent, les batteries d’André sont déchargées, le tandem d’Albert et Claude est à Châteaudun… Il faut rapatrier tout ce petit monde.
Michel avait prévu un plan « B » et un repli sur Varize où le Maire a mis gentiment sa salle communale à notre disposition. Nous sommes tous trempés, à avoir la tremblote et les mains tétanisées. On se sèche, on se change, on se restaure, on se réchauffe et, miracle ! La pluie cesse pour nous permettre de repartir avec l’aide de cyclos de Chartres et d’ailleurs.
Quelle bonne idée ! Ce soir Mohamed nous offre un apéro… Pourquoi ? Pour rien, uniquement pour le plaisir… Alors là, il a tout bon Mohamed ! L’ambiance monte en puissance.
Au repas nous sommes rejoints par Martial Gayant, champion cycliste des années quatre-vingt, du temps de Laurent Fignon et Bernard Hinault ; Martial a une petite fille handicapée et il connaît bien l’environnement du handicap, il roulera demain avec le peloton qui l’adoptera sans problème grâce à sa simplicité et sa gentillesse.
Aujourd’hui, Chartres – Saint-Quentin-en-Yvelines
Au départ, ça commence fort : André nous annonce son anniversaire. Il a 50 ans aujourd’hui et nous propose un pot pour ce soir…il a droit a un vibrant « joyeux anniversaire ». Sous cette bonne humeur nous partons sous un soleil frais, guidés encore, par les cyclos de Chartres. Jean-François Deregnaucourt, nous a aussi rejoints : il nous accompagnera pour les deux dernières étapes. Jean-François préside la commission des séjours et voyages de la Fédé, il était aussi le chef d’expédition de Paris–Pékin.
Le terrain étant vallonné dans la vallée de Chevreuse, les Handbikes ne feront qu’une partie le matin et une autre l’après-midi, pour un total d’environ 45 km. Certains commencent à compter le temps qui reste et regrettent, déjà, que le séjour passe aussi vite ; Simon lui aussi trouve que ça va vite, il répète :
– Moi je travaille, c’est bientôt le travail, lundi !
Simon travaille dans un CAT que l’on appelle à présent ESAT
L’arrivée à l’hébergement est un peu mouvementée : une pluie d’orage aussi soudaine que violente s’abat sur nous à 500 m de l’arrivée, juste le temps de trouver des abris de fortune.
Après la pluie, un magnifique Arc-en-ciel, symbole de notre périple, se dégagera comme un signe bienveillant venant de là haut : magique !
André, familièrement appelé Dédé par le groupe, sera fêté dignement et se verra offrir quelques cadeaux d’anniversaire : encore des instants chaleureux.
L’émotion finale
Dernière étape jusqu’à Saint-Quentin-en-Yvelines. On a le temps, nous patientons sous le soleil, car il faut attendre nos précieux guides pour la circulation de la région parisienne.
Départ vers 10 heures avec quatre groupes distants d’une centaine de mètres. Les Handbikes ont la pêche et ça file vite jusqu’à… deux crevaisons de Claude ! Superbe traversée du parc de Versailles : Royal ! Puis le pique-nique au parc de Boulogne-Billancourt avec une vue en balcon sur Paris et la tour Eiffel : superbe. Durant l’arrêt, nous serons quelques-uns à essayer les Handbikes et à mesurer l’exploit accompli par nos amis : en quelques tours de rond-point nos bras commencent à trouver que cela suffit !
Le reste du parcours en ville sera réalisé entre feux, stop, chicanes, pistes cyclables jusqu’au bâtiment du Comité national olympique et sportif (CNOSF). À l’arrivée nous nous congratulons, nous nous embrassons avec une émotion sincère, toutes et tous heureux d’avoir accompli un superbe parcours, un grand challenge, une expérience originale et chaleureuse.
Simon est, lui aussi heureux :
– Regarde Jean, Papy est là !
Le président du CNOSF nous accueille avec son équipe. Les discours sont simples, les félicitations renouvelées, cette première est un franc succès. Quelques élus et permanents de la fédé sont aussi présents. Ils offrent des récompenses fédérales : une médaille gravée personnalisée et le très beau livre de Paris–Pékin. Nous sommes tous appelés un par un par Michel et invités à dire un petit mot. Simon, comme au départ, laisse la parole à sa mamie. Chacun ira de sa petite phrase, son anecdote, dira le bonheur passé ensemble cette semaine, qu’il ne faut pas s’arrêter là ; de nouveau l’émotion nous saisit : ouf ! Les mots sont difficiles à trouver.
Beaucoup de jolies choses ont été dites, difficile de tout citer :
– Je voudrais tant revenir en arrière, dit Christophe.
– Ne sois pas triste que l’aventure se termine mais sois heureux de l’avoir vécue, dit Lucette »
Quant à moi, des séjours de la fédé, j’en ai fait beaucoup mais celui là, il restera gravé à jamais dans un coin de ma mémoire.
Vélo Club de Bois-Grenier