La Route du Silence – Une introspection cyclotouristique ! #3
La Route du Silence, Jour 4
I’m back in the race ! Enfin presque…
La journée est ahurissante ! La pluie qui ne s’arrête que pour le plaisir de recommencer un peu plus loin, les vêtements qui ne peuvent pas sécher, la veste de pluie qui protège en maintenant les maillots trempés, le désert pour se ravitailler, et les jambes qui me relèvent, qui me poussent. J’ai plus mal, j’appuie comme un automate et mes jambes me disent qu’elles sont toujours là, qu’elles peuvent encore continuer, qu’il y a pas de problème, qu’on revient dans la course.
Je chiale sur mon vélo, je reçois des messages, je pense à ceux qui regardent la balise GPSsur le site de la course et qui doivent commencer à voir que je reviens, que je ne lâche pas. Je gueule à une vache « I’m back in the race ! » Je vous jure qu’elle m’a souri !
Les paysages sont magnifiques, enfin j’imagine parce qu’entre la pluie, le brouillard, le vent et mon état second, je n’ai aucun souvenir… Je commence à écrire un scénario Netflix avec de la douleur, du drame, des grands paysages, de l’émotion, des vaches, un cycliste et un happy end à la fin… Je suis vraiment dans une sorte de transe durant une douzaine d’heures. Le plus long trip de ma vie !
Je vise le CP 2, au km 808, 50 km après la descente du Puy Mary.
Je vise le CP 2, au km 808, 50 km après la descente du Puy Mary. Mais la pluie devient vraiment dense, et il est clair que cela va continuer toute la nuit. 19 h. Pause aux alentours d’Aurillac, à 140 km encore du CP2, distributeur à pizza qui me sort le carton avec la pizza renversée à l’envers à l’intérieur…
Je m’installe sous l’abri de l’entrée d’un Super U vide pour ma dégustation et allume le téléphone. Message de l’organisation : « avis aux 12 derniers qui ne sont pas encore arrivés au CP2, on a besoin de savoir si vous venez jusqu’à nous, on vous attend à peu près jusqu’à minuit ». La douche de la journée n’était pas chaude, mais là, c’est la vraie douche froide. C’est impossible. Il me reste 140 km avec des énormes montées, dont le Puy Mary. Je fais un calcul…optimiste. 4-5…6 heures du matin. « J’espérais trouver le ravito, mais je ne crois pas pouvoir arriver avant 5-6 h du matin, tenez moi au jus… »
Coup de fil de ma fille… infiniment merci et mille excuses ! Pris par le stress, j’écourte la conversation parce que je comprends que je ne pourrai pas compter sur le CP2 pour recharger mon téléphone qui reste mon assurance vie… Je commence à me sentir lâché, et à lâcher…
Je suis dans la merde ! Je suis vidé, et je m’expose au moindre souci de batterie sur un phare ou un appareil de navigation. Pizza froide terminée, je repars. Dans le doute rouler. Avancer pour réfléchir ou au contraire pour ne plus se poser de questions… Peu importe, rouler. Les jambes peuvent toujours. Alors elles appuient !
Dans la nuit, le col de Légal. Le village de Salers enfin. Quelques maisons allumées. Clémence et Christopher doivent y passer la nuit. Je les ai rattrapés, je ne serai plus vraiment seul. Col de Néronne, 12 km, ça passe, mais les descentes de nuit sont frustrantes, il faut aller doucement, la visibilité est mauvaise et on ne peut pas anticiper les virages comme j’en ai l’habitude. Faire les montées à 8 ou 10 km/h, et les descentes à 25, ça ne fera jamais du 20 de moyenne comme je le calculais…
Je commence la vraie montée du Puy Mary à 1 h du matin
Brouillard. Il ne pleut plus mais c’est pareil. J’ai l’impression de boire en respirant, les phares révèlent les milliards de gouttelettes en suspension. C’est pas beau, c’est plus poétique du tout.
Les deux derniers kilomètres sont mortels. Je pousse le vélo et défonce mes sur-chaussures anti-pluie. Comme je suis seul sur cette route, j’économise mes phares et marche avec le seul clignotement de mon petit phare de position en suivant la ligne pointillée du milieu. Bardet. Une chouette vise mon casque et se détourne au dernier moment. Allez Julian. Du tonnerre…putain, c’est pas fini. Merci Jaja ! Je fais le point sur le compteur. Le dernier kilomètre est une saloperie de raidar. Il va falloir continuer de pousser, impossible de me remettre en selle. Marion on t’aime ! Ma roue avant se dérobe, je sens le guidon perdre 10 cm. Arrêt net, je gaine tout ce que je peux, m’immobilise…
Je rallume sans trop bouger le phare : la pointe de mes pieds est arrêtée à 5 cm du parapet, ma roue presque dans le vide. Je ne bouge plus. Un regard à droite, à gauche. Le temps de regarder le GPS j’ai quitté les pointillés des yeux et je me suis déporté en poussant le vélo sur la gauche. J’aurai pu buter contre les barrières de sécurité, mais je suis passé entre deux plots cassés qui n’étaient plus reliés par la barre de fer normale… Un pas de plus et je basculais. Là franchement, j’ai plus envie de jouer. Il faut que je bascule. Je me suis vraiment fait peur, la descente va forcément être froide puisque je suis trempé et en transpiration. Merci tata pour la peinture. Merci Tata pour la peinture… En lettres d’un mètre de haut sur le dernier kilomètre. Ça c’était drôle !
Merci les gars d’être aussi bons, je sais pas si les coureurs du tour ont lu vos inscriptions, mais moi oui, et à 2 h du matin, c’était bon ! C’était la seule chose bonne ! Clémence et Christopher aussi vous en remercient, eux qui sont montés quelques heures derrière, et qui se sont bien marrés en vous lisant !
À la mi-descente, après avoir perdu et repris le contrôle de mon vélo 5 ou 6 fois parce que je m’endormais, et éviter un renard suicidaire attiré par mon phare, je fais une pause devant un restaurant de station ski fermé et j’allume le téléphone pour faire le point.
Message de l’organisateur : « Xavier… Désolé mais on ne sera plus là à 6 h du matin. On ferme le ravito après le passage de Taoufik prévue pour minuit trente. Impossible pour nous de rester plus… Courage. »
Stop… Terminé
Je suis planté là sur ce parking de station, il est 2 h 30 du matin, j’ai roulé 21 h et fait 300 km, mais je reste hors-jeu…. Je balance toutes mes affaires en vrac sur la terrasse du restaurant, me fous à poil pour enfiler un tee-shirt sec et mon caleçon, et je me calfeutre dans mon duvet.