Jeunes Voyageurs : Le vélo c’est l’ouverture au monde

Thésée et Noémie ont bénéficié de la Bourse Jeunes voyageurs de la Fédération française de cyclotourisme. Vous avez pu suivre au fil des mois leurs aventures sur notre Mag vélo ou dans la revue Cyclotourisme.  Après deux ans de pérégrinations en Amérique du sud en 2016 et 2017, ils sont revenus au pays. Leur voyage lointain est aussi une aventure intérieure. Thésée fait le bilan, tout en poésie,  sur cette formidable aventure à vélo. 

Un véritable bouleversement

Trois mois après avoir reposé le pied sur le sol français, il aura fallu que je reparte à l’étranger pour reprendre la plume et pour la première fois je me retourne sur deux ans passés sur nos vélos à travers les Andes.
Comment faire un bilan de ce qui était devenu notre vie quotidienne ? Se réveiller gorgé de vie ou tremblant de froid. Coopérer, le couple 24 h/24 devient une équipe soudée dans le temps, et soumis à l’épreuve. Paqueter, les gestes sont automatiques, chaque item à une place favorite dans les sacoches. Une forme de manie, rituelle, se développe pour ne rien égarer dans l’exiguïté d’un vélo.
Un p’tit coup d’œil au chemin du jour, et rouler. Rouler. Se perdre. Vagabonder. Rouler toujours, l’esprit s’envole, créatif à souhait. 

Nos proches se laissent souvent impressionner par nos 14 000 km dans les roues. Ils voient ça comme une forme d’exploit. Certains locaux aussi, pour qui nos distances totales ne signifiaient rien, mais qui, découvrant le village duquel on partait ce matin-là, n’en croyaient pas leurs yeux ! Il n’a jamais été question de performance pour nous. Bien sûr nous avons traversé nos propres challenges sportifs. En particulier les déserts de l’Altiplano bolivien et la Great Divide au sud Pérou resteront à jamais gravés dans nos cœurs.  


Un terrain d’expérimentation 

L’important pour nous pendant ces deux années fut d’expérimenter un autre regard. D’abord se libérer des contraintes qui fixent nos comportements dans un quotidien rythmé par des facteurs subis : quitter son travail, trouver le moyen de transport adéquat, définir ses vraies priorités, se laisser guider par ses envies profondes. Puis, poser une à une les briques sous le château dans le ciel tant rêvé. Et le créer. Littéralement, créer le rêve.

Prendre le temps, tant de temps qu’on n’y pense plus. Ne pas avoir d’objectifs de performances quantifiées, si ce ne sont ceux que l’on choisit délibérément et pour le plaisir. La pression retombe après avoir fait le ménage dans sa vie. L’espace-temps s’ouvre à nous, rempli d’opportunités pour exaucer nos souhaits, nos rêves d’enfants.

Voyager à vélo, en couple, à l’étranger et en autonomie à long terme, ce ne sont pas des vacances. Ce n’est pas une année sabbatique. Ce n’est pas une parenthèse de notre vie. C’est un terrain d’expérimentation, un choix de vie alternatif à ce qu’on pense parfois devoir être normal. Et ce mode de vie est aussi riche et complexe que la vie elle-même. Il se tricote à chaque coup de pédale, chaque émotion ressentie, chaque décision prise. Ce que l’on peut offrir par notre témoignage, c’est l’envie, l’espoir, et la preuve que tout est possible.  

Le voyage nomade sur deux roues en couple, ce n’est pas tous les jours rose.
Quand l’Alfine se démonte en haut de notre premier col au nord d’Ushuaïa, sous la neige, et qu’on ne sait pas réparer.
Quand il fait -10°C dans le désert avec un vent à arracher les arbres qui ne poussent pas (imaginez donc notre tente), que la nuit est tombée depuis une heure sur cette piste en tôle ondulée et ensablée, qu’on n’a plus d’eau, et qu’on n’a toujours pas trouvé d’abri.
Quand on se fait voler tous nos biens précieux dans l’immonde Santiago de Chile.
Quand on s’engueule, qu’on ne supporte plus les travers de l’autre dans la promiscuité d’une tente et sa présence imposée chaque jour, presque chaque seconde de sa vie.
Quand on se demande si on va survivre au poison ingéré avec ce shaman en pleine jungle. La vie normale, si on y songe une seconde, avec un peu d’exotisme et de sauce chili en plus !

La vraie différence pour moi c’est l’absence du cadre de sécurité habituel, ce qu’on appelle souvent la zone de confort. En sortir crée un accélérateur de vécu qui, mis en tension par nos intentions profondes, mène vers l’évolution de l’être. Se perdre et avoir tout le temps, c’est se trouver et être présent.

Émerveillons-nous, retrouvons notre potentiel créatif, vivons intensément, redevenons des enfants ! Longer ce chemin nous a éclairés, nourris, souvent remis en cause. Il nous a forgés, modelés, détruits et reconstruits. Je crois qu’il m’a simplifié aussi, et authentifié. Je sais mieux ce qui est important pour moi, ce que je veux pour les autres et comment agir. Je garde mon esprit critique mais désormais je pense davantage aux solutions.  

 

Le vélo fut le sésame de la rencontre  

Quels étaient nos objectifs personnels et qu’avons-nous trouvé durant cette expérience ? 
Vivre en pleine nature. L’énergie des grands espaces nous a vitalisés ! Voilà une raison parfaite de prendre son vélo. Notre vitesse, le silence de la mécanique nous a permis d’intégrer chaque décor naturellement. Ces espaces sauvages, grandioses, ne sont pas facilement accessibles, et c’est bien ainsi. Pédaler est l’effort nécessaire pour accéder à ces lieux enchantés, préservés des Hommes et de leur chahut. Et cet effort est mille fois récompensé ! Le spectacle d’une course de guanacos rivaux. Un lac longé pendant des heures où frémit l’onde, seul témoin des mystères qui s’y cachent.

Le chant des oiseaux comme seule chanson. Les éléments vous parlent, la Terre est vivante. Sans agressivité, sans bruit, lentement, nous approchons les vies qui nous observent autant que nous les admirons. Et ces cols à 5 000 m, où nous pouvions voir en toutes directions aux confins du monde…  

En rentrant à Paris, j’ai pu sentir la douleur de la pollution sur ma peau, la pénibilité pour circuler, le bruit permanent, oppressant et le manque terrible d’espace. Je m’y sens comme ces arbres, prisonniers d’une grille et encerclés de béton. Je ne conçois plus de ne pas avoir un accès rapide à la Nature, à l’espace et au silence. Et nous avons choisi de déménager en conséquence.

Rencontrer les Hommes. Là encore le vélo fut le sésame de la rencontre ! Combien de villageois écarquillaient les yeux en nous voyant arriver en sueur dans leur petit hameau perdu ? Tous (ou presque) ont partagé leur feu avec nous, nous offrant la sécurité et l’amour d’un foyer le temps d’un échange, pour un jour ou un mois. Le vélo, c’est l’ouverture au monde, une forme de sobriété qui invite humblement l’autre à s’ouvrir à vous à son tour. J’ai dans le cœur deux trois regards, quelques sourires et attentions qui mouillent encore mes yeux dès que j’y songe.  

Quand on voyage à vélo, on ne peut être foncièrement mauvais. Et quand on croise un voyageur à vélo, – tortue portant le peu qu’il possède dans ses quelques sacoches, on a envie de l’aider. La solidarité crée le lien, puis l’amitié. Dans les villages les femmes s’émerveillaient de notre réchaud à gaz, si pratique et efficace. Le temps d’un thé un attroupement se formait souvent, curieux et intéressé, et rares furent les fois où on ne me proposait pas de l’acheter !

Alors quand j’avais un peu de temps, pour remercier notre hôte, on fabriquait un réchaud à alcool avec une canette en alu et tout le monde s’en allait ravi ! Dormir chez l’habitant était un objectif en soi aussi. L’aventure de frapper à la porte pour demander l’hospitalité est fabuleusement riche ! C’est comme ça que nous avons construit nos premières phrases en espagnol, que nous sommes entrés en contact avec les locaux. Bien sûr être en sécurité pour la nuit et accéder à l’eau était important, mais ce prétexte nous a souvent menés loin. Une conversation, un repas partagé, voir l’intérieur d’une maison, et les gens dans leur intimité : chaque fois l’occasion immense de comprendre une culture, une mentalité à travers une famille.  

Être étranger est aussi une grande leçon

À travers l’autre on se questionne. Certains comportements qui semblaient évidents prennent une autre perspective. D’autres, que l’on pensait des traits de personnalité sont en fait des traits culturels communs à toute notre tribu sans que l’on en ait conscience. Rencontrer l’autre chez lui, c’est se déconditionner en se regardant d’un autre point de vue, celui de l’étranger. Et être étranger en voyage autonome c’est aussi apprendre à demander de l’aide, à être en position de faiblesse, à montrer patte blanche.  

Le poids des sacoches, c’est le poids de la peur   

En rentrant à Paris nous avions envie d’aider tous les touristes à trouver leur chemin et leur donner le sourire, car on sait qu’en pays étranger, celui qui nous vient en aide nous réchauffe le cœur, nous donne de l’espoir en l’Homme. C’est peut-être aussi pour ça qu’on voyage : vérifier qu’il y a encore de l’espoir en l’Homme.

L’autonomie. Disons plutôt la semi-autonomie. Nous sommes partis avec de quoi cuisiner et manger, dormir par tout temps, se déplacer à vélo et les réparer, et tenir le blog. En réalité nous prenions aussi des petits hôtels et de bons restaurants dès que l’envie nous prenait. Je me répète : nous n’avions pas d’objectif d’exploit, si ce n’est autant que possible de se déplacer toujours à vélo. Comme pour les déplacements, être libre de dormir où on veut libère l’esprit. Avec l’habitude, chaque soir, une heure avant le coucher du soleil, l’œil ne regarde plus la beauté, mais l’abri potentiel pour la nuit ! Cela devient une seconde nature avec le temps, un jeu formidable de débrouillardise.

Surtout, nous avons appris à se contenter de peu. De très peu. Les cyclistes connaissent bien cet adage : « le poids des sacoches, c’est le poids de la peur ». Partis avec cinq sacoches chacun plus un sac de randonnée vide, qui se remplissait parfois lorsqu’on avait besoin de plusieurs jours d’autonomie en nourriture, nous avons fini avec deux sacoches chacun et un seul sac à dos, toujours quasiment vide bien qu’utile pour les randonnées. Pendant deux ans nous nous sommes continuellement allégés. Pour nous qui n’étions pas de grands cyclistes au départ, on a vite haï ce poids dans les côtes et vent de face.

On s’est attelés à diminuer nos besoins, à partager, à réduire. Quel plaisir de s’alléger ! Cela donne à réfléchir sur notre consommation dans la vie moderne. Les déchets, le gaspillage, l’obsolescence programmée, la pollution, la destruction de nos ressources. Quand on expérimente le manque, on prend conscience de la richesse de chaque chose. On ne la snobe pas, on ne la gâche pas. On la bénit et on s’en délecte comme si c’était la dernière. Quand on connait le labeur, on ne gaspille plus rien. 

Écoutez votre cœur. Et vibrez

Et malgré tout ça, après 21 mois, l’envie de rentrer nous a piqués. Nous en avons bien entendu discuté longuement avant de prendre cette lourde décision, qui s’est finalement imposée d’elle-même. Nous n’étions plus aussi émerveillés, plus aussi enthousiastes qu’avant. Pire nous étions rodés : aux vélos, pédaler, dormir chez l’habitant, planifier. Il nous fallait autre chose à se mettre sous la dent et l’idée de se sédentariser redevenait excitante ! De nouveaux projets naissent déjà, fruits de nos précédents vécus, et c’est avec autant d’énergie, d’amour, de confiance et de détermination que nous les aborderons.

Je me souviens très clairement de Noémie le jour où, d’accord pour traverser l’Amérique du sud j’ajoutais « à vélo ! » Elle était restée stupéfiée, lâchant un grand « Quoi ?! » Aujourd’hui elle n’imagine plus voyager autrement ! Ce voyage fut un lieu d’apprentissage sous bien des facettes. Il est unique et complexe par chacun de ses aspects particuliers, et à la fois, simple comme un coup de pédale.

Et un autre. Et un autre…

Pour vivre des choses extraordinaires, il faut se laisser surprendre par l’imprévu et lorsqu’il apparaît, prendre conscience qu’il est là devant vous. À cet instant, embrassez-le ! Voyager c’est se libérer d’une dose de contraintes, alors réduisez : Vos objectifs, vos attentes, vos distances et vos affaires.

Paquetez léger, et prenez la route. Soyez votre propre guide. Écoutez votre cœur. Et vibrez. 

Texte : Thésée Festinger Photos : Thésée et Noémie / assolabalise.com

 

Retrouvez toutes leurs aventures sur les routes d’Amérique du Sud sur www. assolabalise.com

Toutes les infos utiles sur la Bourse Jeunes voyageurs -Souvenir Jacques Vicart de la Fédération française de cyclotourisme en cliquant ici

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