Bourse Jeune voyageur – Tanguy au pays des malabars
Notre lauréat de la Bourse Jeune voyageur de la Fédération française de cyclotourisme revient sur cette semaine placée sous le signe du stress et de la tension.
Je me suis effectivement rendu compte au fur et à mesure de la semaine que même en poussant et en faisant du stop de 8 h à 21 h – ce qui, soit dit en passant est rigolo mais n’est quand même pas le but du voyage – mon itinéraire Indien n’était pas compatible avec la venue à Katmandou le 15 janvier de mes trois compères. Oui le 15 janvier c’est dans un mois, oui c’est dans longtemps, mais l’Inde c’est grand, très grand ! Et ni les infrastructures routières ni celles ferroviaires ne permettent de dépasser les 80km/h.
Il va me falloir revoir mes ambitions à la baisse, je n’ai pas le temps de remonter la côte ouest pour visiter Pondichéry et Calcutta et dois prendre le train pour remonter jusqu’à Varanasi.
Le cyclotourisme et les contraintes temporelles ne font pas bon ménage. Ayant commencé la semaine dans la pampa, il me fallait atteindre une ville avec gare et, si possible, agence de tourisme pour réserver des billets. Me voilà donc stoppant/roulant toute la journée avec la boule au ventre à me demander si j’étais dans les temps et si j’allais trouver de la place dans les trains. Ces questions ont un peu occulté les paysages pourtant très sympas de rizières, plantations de café, de poivre et forêts luxuriantes qui défilaient sous mes yeux.
Le jeu des questions
Au stress s’ajoutait la sempiternelle litanie des questions connes qui m’accompagnent depuis le début du voyage : Où est ce que je dors ? Quand est-ce que je lave mes affaires ? Ma chaîne fait un bruit bizarre, est-ce qu’elle a un problème ? Est-ce que je tiens mon budget ? Quand est-ce que mon visa expire ? Est-ce que je suis dans les temps de mon itinéraire ? Comment profiter au mieux des pays que je traverse ? Est-ce que je peux laisser sereinement mon vélo à cet endroit quand je veux visiter un monument ? Tel ou tel équipement s’use (les pédales, le tee-shirt, le short, le gaz, la veste…) comment le réparer/changer ?
Bref la charge mentale classique du cyclotouriste qui jusqu’à présent m’a permis de garder la maîtrise de mon voyage et d’éviter de faire trop de conneries. Mais cette semaine cette charge mentale était plus lourde à porter que les semaines précédentes et, ajoutée au stress d’avancer, elle impactait directement mon moral et mettait mes nerfs à vif, achevant d’éroder ma patience envers certains comportements des Indiens.
Or à l’étranger avec la barrière de la langue, l’autre devient le miroir de nos émotions. On communique comme un adulte avec un bébé, le sourire apporte le sourire, la tension amène la tension.
J’étais tendu, j’ai récolté ce que j’ai semé et me suis mis dans deux situations un peu chaudes.
Ça chauffe au Kerala !
La première s’est déroulée dimanche dernier lors d’une séquence de stop. J’ai fait l’erreur de ne pas sécuriser avant de monter dans la camionnette le fait que je ne comptais pas payer pour me faire prendre en stop. Les deux chauffeurs m’ont déposé 10 km plus loin me demandant 300 roupies (+/- 3,5 € ce qui, ici, est beaucoup) que je n’ai pas voulu leur donner. Alors que je commençais à partir l’un d’eux m’a retenu par la sacoche arrière et ils ont commencé à m’entourer, un devant, un derrière, me demandant de les payer. Finalement j’ai réussi à trouver un passage et ai poussé sur les pédales pour me barrer en vitesse.
La deuxième s’est déroulée un matin dans un hôtel miteux dans lequel la pluie m’avait poussée à passer la nuit. Le feeling n’avait déjà pas été bon avec le patron qui m’avait pris pour un con en me faisant payer plus que le prix affiché, prétextant une qualité de chambre différente (après vérification le lendemain c’était bien du foutage de gueule). J’avais mis mon vélo dans une espèce de cage fermée à clé protégeant un groupe électrogène. Le lendemain voulant récupérer mon vélo je ne trouve pas le concierge qui m’avait ouvert la veille. Je vais demander au serveur du restaurant qui m’a admirablement ignoré avant de m’indiquer le magasin du dessous où quatre autres Indiens ignoraient aussi superbement ma demande.
Je me suis donc retrouvé face à cinq Indiens qui se refilaient la balle ou m’ignoraient en me prenant pour un con. Plus ils me voyaient me tendre plus ça les faisait marrer, jusqu’au moment où j’ai pété un câble en les insultant et leur hurlant de m’ouvrir cette cage. La tension est montée et je me suis retrouvé face à un Indien puant l’alcool qui me menaçait avec ses poings puis avec une barre de fer ramassée par terre.
J’ai hésité sur le comportement à adopter à ce moment. Entrer dans une vraie bagarre comme je l’ai toujours fantasmé, moi éclatant la mâchoire d’un mec avec mon poing ? Je me suis dit que la probabilité était grande que je me loupe et, même en cas de réussite, je me suis demandé comment allaient réagir les quatre autres qui regardaient la scène.
Je me suis rappelé que je n’étais qu’un cyclotouriste dans un pays qui n’est pas le mien et que je ne connais pas, entouré de 1,4 milliard d’Indiens. Le mieux était de reculer d’un pas et de laisser l’autre revenir sur terre et lâcher sa barre de fer.
In fine un vieux qui nous observait est allé chercher les clés chez une vieille qui tenait un magasin attenant…
J’ai besoin d’un peu de répit…
Rien de très glorieux donc cette semaine et un trigger warning sur la nécessité impérieuse de me ressaisir. Il me fallait « poser la balle à terre » et heureusement une petite voix m’a aidé à prendre du recul sur ma situation…
Au final, j’ai revu mon itinéraire en Inde à la baisse et reste uniquement sur le côté est dont je vise d’atteindre la pointe sud d’ici quelques jours.
Ce fut laborieux mais j’ai aussi réussi à sécuriser ma remontée de l’Inde en train pour aller retrouver les copains à Katmandou qui m’apportent un sac d’affaires préparées par la maman, je suis mauvaise langue. Ça va partir sur un 60 h de train des familles (2 x 30 h), plus qu’à espérer ne pas avoir de galère avec le vélo à mettre dedans…
En attendant j’ai repris la route l’esprit allégé et je finis la semaine dans un bien meilleur état d’esprit que je ne l’ai commencée ! On peut dire que j’ai rebondi, un rebond un peu plus compliqué que les précédents, il commence peut être à y avoir un peu d’usure après bientôt neuf mois de voyage. Comme on dirait dans la maison des secrets, « merci la voix ! »
Et je vous quitte sur deux autres trucs cool de cette semaine, la recoloration au feutre de vos mots sur ma veste jaune et l’apprentissage de la technique pour manger avec la main. Le secret c’est qu’une fois la nourriture calée dans les quatre doigts de la main, il faut la pousser dans la bouche avec le pouce, pratique l’opposabilité !