Histoire : Le Gravel de grand-papa
Vous allez me dire : mais la Belgique, l’Allemagne, la Hollande… Tiens, l’Italie avec ses routes blanches, voilà du Gravel ! Non, non, non ! Le Gravel est une pratique particulière qui implique un matériel adéquat et une philosophie originale, ce n’est pas de l’utilitaire amélioré ni du sport déclassé mais de la nature avant tout, du tourisme sans moteur et sans confort, et un gros brin d’aventure.
Déjà Vélocio
Et oui, Vélocio le pratiquait à son époque, jugez vous-mêmes. Le premier grand voyage de notre illustre précurseur, en juillet 1889, est pour sa Provence natale. Il y trouve des routes poussiéreuses au point que les oliveraies qui les bordent en deviennent toutes blanches, poudrées comme de vieilles bourgeoises. Il franchit le Rhône et passe dans le Gard. Ah ! Là les chaussées sont différentes… mais pas meilleures : « des rochers émergent de 50 cm, d’énormes cailloux sont semés de tous côtés, des trous profonds, des ornières traîtresses ; c’est à décourager les plus vaillants, et cela à perte de vue. »
Je peux témoigner que soixante-dix ans plus tard, bien que l’érosion ait fait patiemment son œuvre de nivellement et que les ponts-et-chaussées aient recouvert ce travail préliminaire d’une couche de gravillons agrémentée de goudron liquide (qui le redevenait l’été), les vestiges de ces dénivellations inopinées perduraient.
À Remoulins, le visage de Vélocio est enfariné de la poussière de la route. Cela le change de ses randonnées stéphanoises dont il rentre tout noir, les chaussées étant rechargées avec les résidus des mines de charbon.
En 1891, avec un cycliste de rencontre, il monte au Pilat pour assister au lever du soleil. Après la route, revêtue de bonne terre et d’honnêtes cailloux, ils prennent un chemin étroit semé de raidillons. Puis ils escaladent les chirats (éboulis rocheux) et assistent émerveillés à l’apparition de l’astre du jour effaçant la découpure blanche de la chaîne des Alpes. Ils redescendent jusqu’à la route à travers les bouquets d’airelles et les touffes de gazon. Pour parfaire cette escapade matinale bucolique, il ne leur manque que le confort des pneus ballons qui n’apparaîtront qu’en 1926.
Et bien sûr le Parpaillon
En 1900, par La Condamine, deux cyclotouristes lyonnais de sa connaissance s’engagent dans le col du Parpaillon dont la route vient tout juste d’être achevée par le Génie Alpin. Ils montent sous la pluie, dans la boue et les cailloux. Fourbus, ils sont hébergés au campement d’une compagnie de chasseurs alpins près du tunnel. Le lendemain, les vélos sont chargés sur des mulets et les officiers les accompagnent jusqu’au col, car le tunnel tout neuf est déjà rendu impraticable par des éboulements. Il ne leur reste plus qu’a descendre sur Crévoux dans les alpages et les rochers. Vélocio s’y aventurera à son tour. Chez les cyclotouristes, le franchissement du col deviendra une expérience incontournable dans les années trente suite à un article enthousiaste de Georges Grillot dans La Pédale.
La montagne, voyez-vous, a toujours attiré les cyclotouristes. Avant l’inauguration de la route de l’Iseran, quelques-uns, téméraires, franchirent le col. Le Lyonnais Henri Brun et un compère furent de ceux-là. Pour les derniers kilomètres, sur un étroit et dangereux sentier, on louait un mulet sur lequel étaient chargés les vélos et que conduisait son propriétaire.
Dans les années trente, la pratique de ce qu’on appela le « cyclo-muletier » prit de plus en plus d’importance dans le petit monde cyclotouriste, encouragée et montée en épingle par la revue Le Cycliste dont les mainteneurs étaient membres du Groupe montagnard parisien, c’était tout dire.
En fait, elle commença dès l’origine du cyclotourisme par le seul fait qu’en montagne la route carrossable remontant une vallée était continuée par un chemin auquel succédait finalement un sentier permettant le franchissement d’un col qui donnait sur une autre vallée. Le mulet, alors, était roi. Mais le cycliste n’avait pas dit son dernier mot et de « piéton miraculé », selon le mot de Jacques Faizant, devenait piéton tout court, vélo sur l’épaule, modeste et maladroit concurrent du mulet, mais fier de sa conquête.
En moyenne montagne et même en plaine, les petites routes tardèrent à être goudronnées. Le macadam – couche compactée de cailloux calibrés – était de mise. Au début des années soixante, nombre de routes des Cévennes et d’ailleurs avaient de telles chaussées que les cyclotouristes faisaient du Gravel sans le savoir avec leur pneus ballons de 35 mm en 650 B qu’on dénomme aujourd’hui « 27,5 pouces ». Être des précurseurs sans s’en rendre compte, tel est le génie, n’est-ce pas ? Peut-être aussi la nécessité.
Quelques excès
Toujours est-il que cet engouement pour le « cyclo-muletier » donna lieu à des excès où il ne fut plus question de mulet.
La guerre mettra fin à ces aventures cyclo-alpinistes, prolongements téméraires du classique Gravel. Mais le « cyclo-muletier » plus raisonnable reprendra après 1945 et continuera quelques décennies plus tard sur les chemins plus larges tracés à foison dans les massifs par les modernes bulldozers à l’initiative des forestiers et des chasseurs. Plus tard encore, c’est-à-dire hier, des cyclotouristes américains, avides de nature, de solitude et d’aventure se lanceront à la découverte des routes non goudronnées et quasi-désertes de leur vaste territoire, modernes disciples des amis de Vélocio.
Le Gravel et la Fédération ?
Notre Fédération a bien compris l’enjeu du Gravel. Cette nouvelle (ancienne ?) discipline compte désormais son calendrier et ses événements labellisés. Nouvelle preuve, les sorties Gravel proposées lors de la dernière Semaine fédérale internationale de cyclotourisme.