Eurodiagonale Lisbonne-Hendaye (1/2)

Ce week-end, nous vous proposons un récit de voyage en deux épisodes. Il s’agit de l’Eurodiagonale Lisbonne-Henday. Première partie… La rôtissoire ibérique. 

Premiers contacts


Le contact avec la piste de l’aéroport de Lisbonne est un peu rude. Nous avons décollé de Toulouse deux heures plus tôt, mais les pendules n’ont avancé que d’une heure, miracle du décalage horaire. La récupération des vélos est rapide, beaucoup plus rapide que l’embarquement. Notre question était : comment l’étroite soute d’un avion de 50 places  pourra-t-elle contenir les quatre cartons contenant nos montures ? Réponse simple : en glissant dans l’étroite fente d’un boîtier électronique quatre cartes bleues aussitôt délestées de 35 € ! L’union de la monétique et de la logistique, 35 € et un souci en moins.

Nouvelle question : un taxi pourra-t-il contenir les quatre cartons contenant nos montures et les quatre cyclistes qui vont avec ? Réponse : en deux voyages, deux fois 30 € et un chauffeur de taxi débrouillard. Il a même réussi à nous vider sur les pieds le contenu d’un extincteur, façon peu orthodoxe de faire de la place dans son véhicule.

Après les grandes avenues, le taxi pénètre dans la vieille ville aux rues étroites qui escaladent les pentes de l’une des sept collines de la capitale portugaise. Installation rapide dans les chambres que nous avions réservées et direction un restaurant, la légère collation que nous avions prise dans l’avion n’étant pas jugée suffisante pour des aspirants à une Eurodiagonale. C’est vendredi soir et malgré l’heure un peu tardive, la salle du restaurant populaire est bien remplie, bien bruyante et bien téléfooteuse, si je peux me permettre ce néologisme. Avant de découvrir les richesses de la ville nous découvrons notre premier plat de bacalhau, la morue préparée selon l’une des nombreuses recettes du pays : 365, selon la légende, 600 recensées par les guides gastronomiques portugais.

Premiers tours…


Premiers tours de clés pour remonter les randonneuses, sans précipitation, sans problème ; deux d’entre nous encombrent le hall entièrement recouvert d’azulejos, les fameux carreaux vernissés, les deux autres ont choisi la rue… où passe la benne chargée de collecter les poubelles. Cette fois, les fameux emballages sont définitivement embarqués !

Premiers tours de roues dans une ruelle en forte pente qui nous conduit vers une large avenue qui débouche sur la rive du Tage. Il faut s’habituer à la conduite plutôt sportive des Lisboètes et dès que nous le pouvons, nous roulons sur les contre-allées de l’avenida da Liberdade. Premiers contacts avec les commerçants car nous sommes à la recherche d’un timbre-poste destiné à La Carte que Bernard, responsable des eurodiagonales doit attendre avec l’impatience que lui confère sa responsabilité (je l’espère !). Quelques cartes postales et une pile complètent nos achats.

Le ciel s’est subitement obscurci, un grain s’annonce au fond de l’horizon que barre un pont suspendu. Belle occasion de se mettre à l’abri d’une terrasse et de découvrir une autre spécialité locale, la sardine grillée ! Le soleil a réapparu et la visite continue.  Premier passage sous le pont suspendu aperçu à notre arrivée sur le Tage ; 70 m au-dessus de nous, passent trains, voitures et camions dans un bruit infernal. L’ancien pont Salazar rebaptisé pont du 25 avril, est l’un des symboles de la révolution des Œillets. Nous poussons jusqu’à la tour de Belém et au pied du monument des découvertes, autres symboles de la ville et de la soif de voyages des navigateurs portugais.

C’est de ce point précis que partit Vasco de Gama, c’est d’ici que nous partons conquérir Hendaye. Vasco de Gama avait le Tage devant lui pour quitter le port, sa route était toute tracée. Nous, nous avons des bretelles d’autoroute, des voies rapides, des ronds-points, des feux tricolores, des passages supérieurs, des passages inférieurs, une carte sommaire et des panneaux peu loquaces. Pas de GPS, mais un boucher sympa qui trace le parcours sur trois feuilles : la première conduit 1 ou 2 km plus loin, la deuxième permet d’éviter les autoroutes, la troisième nous conduit directement sur la nationale tant attendue.

Nul n’imagine refaire le chemin demain matin, dans la nuit… Au diable la règle du jeu, nous démarrerons du premier hôtel que nous ne manquerons pas de rencontrer sur notre route avant de nous éloigner de la ville. En voici justement un, bien sous tous rapports, parking fleuri où stationnent des voitures de luxe d’où descendent d’élégantes personnes en robe longue et qu’un groom en livrée vient accueillir. « Avec mon p’tit vélo j’avais l’air d’un plouc ma mère… ». Au diable la règle du jeu, nous poursuivons notre route et achevons la quête du gîte dans une pension fort convenable, sise face à un restaurant populaire. On se sent chez nous !

Nous, qui se trouve derrière ce nous ? Nous, ce sont Nicole, Michel et Michel et le scribouillard de service. Nicole, par sa pratique assidue du cyclo-camping spartiate est de loin la plus aguerrie, hors catégorie ; Michel des Guirguilles a tanné sa peau au cours de plus de quarante années de travaux des champs et de pratique du vélo ; Michel d’Ayrens n’est pas le plus rassuré au moment de démarrer. Habitué des voyages « Club Med », pas trop chargé, bien logé, bien nourri pour des étapes pas trop longues, il est arrivé là, encouragé par Madame, harcelé par le signataire, à l’insu de son plein gré avec au plus profond de lui-même l’envie de découvertes, l’envie de réaliser un « truc ». Il est légitimement inquiet car les séquelles d’une bronchite et des antibiotiques qui allaient avec, le travaillent sans ménagement. Ce soir, il arrose son anniversaire,  au Porto bien entendu !

Premier jour

Dimanche 11 septembre, Lisbonne (Alverca)-Castello de Vide 208 km

 Le départ est retardé de quelques minutes pour cause de crevaison, la sorcière aux dents vertes a nuitamment cisaillé le pied de la valve de ma roue avant. Il fait encore nuit noire au moment du décollage. Nous ne perdons rien du paysage. Des usines, des entrepôts, des maisons, des immeubles, des bâtiments plus tristes les uns que les autres, une route désespérément plate… Monotone et déprimant. Le jour s’est levé. Peu à peu, la campagne apparaît, le Tage est franchi, des tomates tombées de camions jonchent la route, des rizières mettent des touches de vert, des eucalyptus élevés bordent la chaussée. Et nous engrangeons les kilomètres, nous en avons plus de 200 au programme de la journée.

Le moral remonte avec les premières petites bosses couvertes de forêts, les premières vignes et le deuxième arrêt café, ravitaillement… Mais quelques kilomètres plus loin, voilà qu’une agrafe croise le chemin de Nicole qui perce pour la première fois. Une agrafe dans le pneu, du jamais vu ! On oublie vite ces désagréments autour d’une table ; je me la joue bacalhau aujourd’hui encore sous les ricanements de mes compagnons qui jouent classiquement steak-frites.

La température et le profil de la route montent encore d’un cran, l’eau descend au fond des bidons. Gaviāo, photo contrôle au panneau, loin de la ville, pas d’eau, pas de bistrot et le bacalhau qui me torture la langue. J’ai soif et Nicole ricane : « Bacalhau, bacalhau »  ne cesse-t-elle de répéter. Mais il y a une justice et tout le monde est harcelé par la soif, écrasé par le soleil.

Arez ! Enfin un village ! Plus pressé qu’un lavement, je me précipite vers les toilettes publiques et son robinet salvateur alors que mes acolytes ont repéré un café, son ombre et ses boissons fraîches…  

Ensuite, le dépaysement est complet, l’étroite route déroule son excellent bitume sur un plateau aride, parsemé de rochers qui affleurent le sol que de malheureuses vaches tentent de brouter. Eucalyptus, chênes-lièges bien entretenus sont les seules notes de végétation.

Castelo de Vide, n’est plus très loin, perché au sommet d’une longue côte. La chaleur est encore bien présente, la sueur ruisselle sur le visage, pique les yeux, sans doute le sel du bacalhau qui s’élimine !  La halte à la fontaine au pied de la rampe finale est la bienvenue ! Un dernier effort. Han ! Un dernier coup de rein et nous voilà rendus à notre chambre d’hôtes. Encore une petite corvée, jouer les lavandières du Portugal*, « et tape et tape et tape avec ton battoir, tu dormiras mieux ce soir ! » Pas de souci de ce côté là. Ce soir encore nous choisissons un restaurante populaire, « Os amigos », délaissant les établissements pour touristes, nombreux dans ce village qui aurait mérité une visite plus approfondie. Seul notre sommeil sera profond.

 *Chanson de notre enfance

Première frontière

 Lundi 12 septembre, Castello de Vide – Plasencia,  207 km

Ce matin, Nicole fait bien un peu la tête. Pensez donc, aujourd’hui encore elle va partir le ventre vide, pas le moindre petit gâteau, pas le moindre yaourt à se mettre sous la dent, et moi, je ris sous cape… Je me remémore les petits déjeuners qu’elle m’a infligés au cours de nos voyages précédents, les yaourts aromatisés, verdâtres, jaunâtres, grecs… pires que l’huile de foie de morue à laquelle j’avais échappé dans mon enfance.

Elle ne tarde pas à retrouver le sourire dans le café du petit village de Marvao où se retrouvent les ouvriers en partance pour leur lieu de travail. Quelle cohue à l’instant de régler les consommations ! Mais nous ne tardons pas à reperdre le sourire : il est 9 h 30, nous sommes partis à 6h30 et nous n’avons parcouru qu’une vingtaine de kilomètres ! Cherchez l’erreur ! Elle se trouve à la frontière espagnole où nous avons récupéré le décalage horaire et perdu une heure.

Un qui se moque bien des frontières, c’est notre ami (?) Râ qui nous joue son récital en Rê majeur, crescendo dans un ciel sans nuages, sur des routes rectilignes tracées sur un plateau à peine vallonné où ne poussent que des chênes verts épars et les poteaux du téléphone. Sous ses rayons, nos ombres s’allongent. Michel des Guirguilles est imperturbable, Nicole sourit, Michel d’Ayrens subit, je mouline… La circulation est quasi nulle.

« On avance, on avance »… Ben non ! On s’arrête ! Nicole ne sourit plus, Nicole rouscaille, Nicole talonne, sa trajectoire a croisé une seconde agrafe. Le quatuor se sépare : un duo répare, l’autre part au village voisin assurer le ravitaillement. Un village avec ses ruelles toutes semblables, étroites, tortueuses que nous visitons consciencieusement à la recherche d’une épicerie. Nous faisons le plein, plutôt, nous pensons avoir fait le plein et rejoignons la grand route pour un regroupement.

Michel d’Ayrens qui cherche de l’eau (c’est une obsession !) et Nicole qui doute de nos capacités à assurer un stock de provisions suffisant rendent également visite à l’épicerie. Nous mangeons sur les bancs publics généreusement et astucieusement placés à l’ombre d’un mur. Sur les bancs voisins une demi-douzaine d’hommes… Nous faisons honneur à nos achats (légers) et à la saucisse que Nicole complète par des sarcasmes qui me sont destinés et dont je vous épargne le contenu. 

Retour sur la route, sa chaleur écrasante, sa circulation calme,  ses paysages arides. Deux heures sous le cagnard et enfin la caña, la cagna salvatrice, prélude à un déjeuner pris dans un restaurant où la climatisation est appréciée. Malins, va ! Maintenant revenez-y vous rôtir ! L’eau, l’ombre, les conversations sont rares, très rares, les maillots sont largement ouverts sur des torses velus et ruisselants de sueur. Est-ce en raison de la chaleur au ras du sol que les nids de cigognes sont perchés au sommet d’une cinquantaine de poteaux ? Sûrement pas, mais c’est assez surprenant comme forêt.

Cácerés : arrêt contrôle, photo express au panneau, pas le temps de souffler. Cácerés, ses maisons gothiques et Renaissance à l’intérieur des remparts mériterait le détour ; désolé, nous devons tirer droit, la cible est encore à 85 km et il est déjà 15 h 35.

De l’eau, de l’eau, réclament nos organismes. Patience ! Dans un peu plus de 30 km, nous plongeons sur le Tage, le rio Tajo qu’un barrage retient en aval. Un barrage, un lac de retenue, une station balnéaire, des buvettes, des parasols, des naïades…et on fantasme, on fantasme. Plus que quelques hectomètres, le fleuve scintille en contre-bas. On arrive, on touche au but et… que dalle ! Le désert, la pampa, pas de vacancières alanguies, pas boissons fraîches. Un pont inesthétique pour la route et le rail et déjà une côte qui s’annonce puis une descente sur un autre bras du Tajo et l’amorce de l’ascension du 1er col de notre périple.

Tous nos espoirs reposent sur Cañaveral, à mi-pente. De longues minutes. Et il est là, le bar tant attendu, il est là, à l’entrée du village, perché sur un talus. De loin, nous avons aperçu la terrasse et les enseignes. Une seule envie : se précipiter à l’intérieur et boire, boire, boire… Pas de précipitation, il faut faire un large détour pour franchir le fossé, passer devant une fontaine où nous nous offrons une ablution revigorante avant de nous attaquer à deux ou trois tournées de coca. Du coca ! Un moment d’égarement que la soif nous a commandé. Les bidons remplis d’eau et de glaçons, il faut replonger dans la fournaise. Avant le supplice, la tête sous le jet de la fontaine, Michel d’Ayrens renaît, revit quelques instants, reprend goût à la vie. Sur la lancée, le puerto de los Castaños est franchi sans trop de difficultés. Notre ville étape est à moins de quarante bornes mais le profil est descendant. Traduisez : encore deux heures de route et déjà douze heures que nous rôtissons sur nos tourne-broches.

Une dernière grimpette pour parvenir dans le vieux quartier au cœur de la ville de Plasencia, où nous trouvons à loger. Ce soir, un seul mot sur mon carnet de route : « Chaud ! », pas un mot dans mon carnet de notes. Ce soir, je suis, nous sommes cuits ! La promenade digestive sur la Plaza Mayor sera brève mais pleine d’intérêt.

La suite est à lire demain au même endroit

Texte et photos : Georges Golse – Écrit entre le 19 octobre et le 06 décembre 2011.

 

Pour aller plus loin sur les brevets des diagonales de France :

https://ffvelo.fr/activites-federales/adherents/les-brevets/brevets-touristiques/brevet-des-diagonales-de-france/

http://www.diagonales-de-france.info

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